Quarantaine


— extrait —

« 6h05. Le réveil hurle. Je l'étouffe. C'est aujourd'hui mercredi. Mais je n'irai pas. C'est ce que je viens de décider.
Je vais rester sous ma couette. Je voudrais ne plus avoir à la quitter. Ne plus jamais avoir à me lever. Rester toujours couché.
Caché sous ma couette. Que la vie serait belle… Et chaude. Il pleut dehors. Il bruine. On voudrait que je sorte sous cette pluie qui
est si fine qu'elle se faufile. Un très léger coup de vent et, légèrement, elle dévie, au dernier moment, de sa trajectoire. Au lieu d'aller
s'éclater contre le trottoir, une goutte se glisse entre mon cou et mon écharpe. Elle évite le tissu. Elle ne veut pas y mourir.
Elle louvoie entre deux plis de laine. Et qu'est-ce qu'elle aperçoit ? Le col d'une chemise. C'est le repère qu'elle cherchait.
C'est ce dont elle a toujours rêvé. L'ambition de sa chute. Le creux de sa carrière. On lui a toujours dit que c'est là, tout contre cette rigidité de coton,
qu'on trouve les zones de peau les plus douces, les plus sensibles. On lui a dit que certaines gouttes tombent parfois contre la nuque, et qu'elles n'ont
plus alors, si elles ont accompli cet exploit, qu'à se laisser glisser jusqu'au paradis. Et cette petite goutte qui se faufile se souvient qu'on lui parlait
souvent, quand elle était plus petite encore, quand elle était encore toute glacée, d'une de ses aïeules qui serait parvenue jusque là. On raconte, mais
personne n'a pu vraiment le confirmer, puisque personne n'est jamais remonté, qu'elle serait tombée sur une nuque, un matin, il y a très longtemps.
Hier peut-être. L'anuquissage, paraît-il, a été extrêmement violent. Elle aurait perdu beaucoup d'eau. Mais elle aurait quand même réussi à se laisser
glisser sous le tissu d'une robe. Oui, d'une simple robe, au mois de janvier. C'est d'ailleurs pour cette raison que beaucoup de gouttes ont refusé de
croire à cette aventure quand le récit s'en est répandu de nuages en nuages. Beaucoup ont prétendu que ça n'était pas sérieux, qu'on n'avait jamais entendu
de telles inepties. Les cristaux les plus anciens condamnaient ceux qui participaient à cette rumeur, et grommelaient que ces bruits qui coulaient finiraient
par provoquer un orage. Un orage en plein hiver à cause d'une robe en plein mois de janvier… Et d'autres affirmaient au contraire, et continuent d'affirmer,
que cette histoire est peut-être vraie après tout, puisqu'il paraît que dans certains quartiers, et plus précisément, dans certaines rues des villes
humaines, on trouve des femmes qui ne portent pas de manteau, même en plein hiver, qui ne portent presque rien, et qui rentrent chez elles quand le jour se
lève. On dit qu'elles marchent toute la nuit, et que parfois, elles glissent, elles aussi, contre des peaux qu'elles ne connaissent pas. On dit même
qu'elles s'y écrasent quelquefois. »